Créer en France un écosystème commercial pour la technologie

Par Gréggory Pascal, fondateur de SensioLabs:

Constituant à plus de 95 % les fondations d’Internet, l’open source est aujourd’hui l’écrasant standard des infrastructures technologiques. En une quinzaine d’année, ce que les grands éditeurs brocardaient comme un phénomène marginal est devenu la norme, et ce sont désormais les outils propriétaires qui se retrouvent marginalisés. Par leur activité, leurs compétences et leur créativité, les ingénieurs français ont contribué de façon déterminante à ce processus d’expansion et de professionnalisation de l’open source. Sauf qu’ils n’en ont guère récolté les fruits économiques…

L’open source est emblématique d’une spécificité typiquement française : la difficulté de nos entreprises technologiques à être prophètes en leur pays malgré l’excellence de leur innovation.

L’une des causes est que les grands donneurs d’ordre hésitent à faire confiance à des PME. Ce n’est pas propre aux technologies mais celles-ci subissent deux facteurs aggravants : d’une part, une mentalité plus attentiste qu’aux États-Unis, où on tolère plus facilement d’essuyer les plâtres d’une technologie naissante, et, d’autre part, une sorte de complexe diffus d’infériorité. À l’inverse du vin, la technologie bénéficie toujours d’un a priori plus favorable si elle vient de Californie plutôt que des bords de Loire. Au point qu’il faut parfois se présenter en anglais et faire ses premières armes en Amérique avant de revenir convaincre la société située de l’autre côté de la rue. Le succès de Critéo et Talend (un acteur open source, justement !), récemment introduits au Nasdaq, sont l’illustration de ce paradoxe.

 

Mais la faute n’incombe pas qu’à la frilosité de la demande. Par l’insuffisance de son approche commerciale, l’offre a également sa part de responsabilité. Cette faiblesse va bien au-delà de la traditionnelle complainte sur l’ingénieur français brillant technicien mais piètre vendeur. Cet écueil culturel pourrait en effet être surmonté si nos entreprises technologiques se dotaient d’une organisation commerciale adaptée. Or, on n’y trouve quasiment jamais d’équipes marketing et commerciales structurées autour d’un processus de vente segmenté et performant comme aux États-Unis. Poussés par leur culture mais aussi de fortes contraintes économiques et de turn-over, les Américains savent mettre en place de telles organisations, où chacun, de la prospection au closing, est affecté à une tâche spécifique. Il en résulte une efficacité redoutable et un vivier d’expérience et d’expertises dont bénéficie tout le secteur.

En France, peut-être par dédain d’une telle spécialisation et de la vente en général, on conserve la vision romantique du commercial à tout faire, aussi bon pour nouer un premier contact que pour négocier un contrat. Malheureusement, de tels profils sont exceptionnels et cela freine à la fois le recrutement et la montée en compétence individuelle et collective. En outre, les jeunes diplômés des écoles de commerce (pardon, de « management ») pâtissent souvent d’un cruel manque de compétences de base en matière de vente, notamment pour le B2B qui n’a pas l’attrait du luxe ou de la grande consommation. Il y a peu d’aspiration des élites à devenir vendeur, et encore moins de solutions informatiques aux entreprises ! Ce sont pourtant des métiers passionnants et des carrières riches en perspectives.

Pour convertir notre excellence technologique en entreprises florissantes et en emplois, et ne plus avoir à déplorer le départ de nos pépites, nous aurions donc tout intérêt à développer un véritable écosystème commercial pour la technologie. Cela commencerait par inciter les DSI français à croire en nos PME et en leurs innovations. Pourrait alors s’enclencher un cercle vertueux permettant de faire émerger des champions, lesquels serviraient d’exemples, de pépinières de compétences et de moteurs économiques. Cette dynamique permettrait de développer et diffuser dans les entreprises technologiques les bonnes pratiques commerciales spécifiques à leur secteur. Enfin, pourquoi ne pas imaginer des cursus d’enseignement dédiés à ce métier si particulier – et désormais capital – qu’est la vente d’innovations technologiques.

Pour que les champions de demain naissent, croissent et demeurent en France, nous préoccuper de cette dimension commerciale est un impératif.